lundi, juillet 15, 2019

Passion Collection / Venise : Palazzo GRIMANI








Un UNICUM sur la lagune



Il est vrai que le PALAZZO GRIMANI de Santa Maria Formosa est un lieu unique à Venise : son architecture intérieure particulière, les fresques d’artistes comme Francesco Salviati, Federico Zuccari et Giovanni da Udine, élève de Raphaël, évoquent plus la domus romana et les modèles de la Renaissance de la ville papale que les palais vénitiens.
Cette décoration riche d’énigmes, les différentes clés de lecture et l’histoire même de la famille Grimani de Santa Maria Formosa, restent encore aujourd’hui un sujet d’étude et de recherche passionnant.
Le PALAIS, dont la partie la plus ancienne date du Moyen Âge, est situé au confluent des canaux de San Severo et Santa Maria Formosa. C'est Antonio Grimani, doge en 1521, qui en fit l'acquisition ... au fil des héritages, il devint dans la troisième décennie du XVIe siècle, propriété des deux frères VETTORE GRIMANI, Procurator de Supra pour la République de Venise, et GIOVANNI GRIMANI, patriarche d'Aquilée qui restructurent le bâtiment et le décorent d'un cycles de fresques et de stucs.  
À la mort de Vettore en 1558, Giovanni Grimani, évêque de Ceneda de 1520 à 1531, puis patriarche d'Aquilée (1545-1593) devient le seul propriétaire.


Jacopo Tintoretto, Portrait of Giovanni Grimani, 1560s
GIOVANNI GRIMANI descendant d'une riche et puissante lignée vénitienne qui avait l'amour de l'art, se jeta alors corps et âme dans l'acquisition d'une extraordinaire COLLECTION d'art antique et de pierres précieuses et conçut dans le palais une spectaculaire Tribuna pour les exposer. Nombreux furent les érudits les littéraires, les artistes et les souverains qui vinrent en visite. Conscient de la valeur et de l'intérêt que représentait sa collection, Grimani estima devoir la léguer à la Reppublica avec un but "de pédagogie et d'exemplarité" ; et en 1587, il se présenta devant le Senato pour acter la donation.


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Après sa mort, la collection fut placée dans l'antichambre de la Bibliothèque Marciana. Ensuite, elle devint une partie, la plus grande, du Musée Archéologique National à Venise.
Quant au palais, après plusieurs changements de propriété, il fut acquis en 1981 par la Surintendance pour le patrimoine architectural et paysager de la ville de Venise devenant ainsi la propriété de l'État. Après une longue restauration il fut ouvert au public en décembre 2008.


Aujourd'hui l'exposition "DOMUS GRIMANI 1595–2019" a l'ambition de fait revivre, quatre cents ans après, un des lieux les plus suggestifs de Venise en reconstituant l’un des épisodes les plus significatifs de la muséologie européenne – la Tribuna du patriarche Giovanni, dont l'architecture intérieure est restée intacte et qui compta plus d'une centaine de statues.
L'entrée (camouflée) du Palais se fait dans une petite ruelle, qui dessert le cortile loggiato, d'où l'on emprunte l'escalier monumental qui conduit au scénographique portego (mot vénitien : salon-antichambre où l'on reçoit les invités). D'ici, part une enfilade de pièces, dont la richesse du décor reconstituée, a pour mission, comme du temps du patriarche, de surprendre le visiteur, le préparant à au bouquet final : la Tribuna qui pour l'occasion a retrouvé sa statuaire d'origine.
Outre la reconstitution de la tribune, l’aménagement des salles immédiatement antérieures permet d'apprécier des meubles, tapisseries, tableaux et objets évocateurs d’une époque et d’un style de vie, uniques en leur genre.









Plafonds de la Sala dei Fogliami,  Camaron d'oro,  Camerino di Apollo, Sala da pranzo, la Tribuna
Grâce à une collaboration fructueuse avec la "Fondation musées civiques de Venise", sont aussi exposés quelques meubles du XVIe siècle conservés dans les dépôts du Musée Correr, restaurés pour l’occasion, tout comme la tapisserie du XVIe siècle de manufacture médicéenne, d'après un carton de SALVIATI, très probablement commandée par Grimani, exposée pour la première fois après une intervention de restauration conservatoire.
Parmi les autres œuvres importantes qui enrichissent le parcours d’exposition un tableau de POMPONIO AMALTEO représentant Samson, une copie de la peinture de Leda et le Cygne de Michel-Ange, ainsi qu’un fragment de paliotto d'autel exécuté par JOHAN ROST, représentant le doge Antonio Grimani, réalisé en 1554 pour la basilique Saint-Marc.
D’autres ouvrages importants proviennent de la Galerie Giorgio Franchetti à la Ça' d’Oro de Venise, comme les alaires en bronze de cheminée de Girolamo Campagna et la grande table en bois du XVIe siècle, sur laquelle sont exposés quelques bronzes de JACOPO SANSOVINO et TIZIANO ASPE, sculpteur-restaurateur de Giovanni Grimani, qui avait son atelier au palais.


Dans la "Salle des Feuillages", est encore exceptionnellement exposée l’une des deux précieuses tables de la fin de la Renaissance, avec plateau en marbres anciens et lapis lazzuli, de manufacture romaine qui jusqu’en 1829 se trouvait au palais. En 1829 la table fut vendue par Michele Grimani, dernier héritier de la branche de Santa Maria Formosa, à Henry Greville III, Comte de Warwick, pour le château de Warwick en Angleterre. En 2015, la table fut mise aux enchères chez Sotheby et actuellement détenue par un collectionneur privé qui l'a exceptionnellement prêtée.


... Il est temps à présent de rentrer dans la spectaculaire
 "camerino delle antichità.

Museo di Palazzo Grimani

Castello 4858, Venezia
du 07.05.2019 au 30.05.2021
Horaires : 
mardi-dimanche, 10 h/19  h
 ; lundì: fermé
Informations
www.palazzogrimani.org
Réservation en ligne : ticket.palazzogrimani.org



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I FORTUNY, una storia di famiglia
A l’occasion du 70ème anniversaire de la mort de Mariano Fortuny y Madrazo, peintre, styliste, scénographe et designer espagnol et vénitien, le Palazzo Fortuny organise une exposition pour célébrer le passé de cette famille active dans la peinture et la collection à Venise à cheval entre 1800 et 1900.
L’exposition propose une sorte de face-à-face entre Mariano Fortuny Marial (autoportrait à G), le père, né et mort en Espagne (1838 –1874) et  son fils Mariano Fortuny Madrazo (autoportrait à D), né en Espagne et mort à Venise (1871–1949) dans ce palais qui était la maison vénitienne et le laboratoire de Fortuny fils.

Le projet d’exposition vise à examiner avec plus d’attention deux thèmes qui les rassemblent : d’une part, la pratique de la peinture, solidement insérée dans la tradition européenne des anciens maîtres, de l’autre la passion collectionniste entendue comme occasion d’étude et de réélaboration artistique. Marcel Proust avait soulignée cette "récupération"...selon lui, c’est précisément en ramenant à une nouvelle vie les dessins du passé que se révèle sa puissance d’artiste : ce résultat fut possible grâce à une sensibilité affinée qui venait du contexte familial, et de la manière particulière de recueillir, d’étudier et de retravailler les objets venus d’autres temps et d’autres cultures. Mariano Fortuny Marsal avait cette passion pour l’antiquité en s’entourant de tissus anciens, verres, vaisselle, armes des siècles passés, statues, meubles, tapis, avec lesquels il décorait son atelier et qu'il reinsérait dans ses tableaux, souvent transformés ou réinterprétés.

L’exposition recompose en partie la collection des Fortuny dans le palais réaménagé pour l'occasion avec les oeuvres et objets les plus importants de la collection, où chaque pièce est le témoignage direct d’une continuité de thèmes entre père et fils. De l’attention à la lumière à l’intérêt pour la représentation des nuages, du culte du passé à la passion pour les voyages et les lieux exotiques, les intérêts des deux Fortuny présentent des similitudes évidentes.

Le génie de Fortuny Madrazo l’amena quant à lui, à élargir ses horizons, interprétant de façon personnelle l’idéal wagnérien d’œuvre d’art total qui l’avait tant fasciné dans sa jeunesse. Si dans la peinture la technique et la patte du père restent inégalées, c’est dans la polyvalence des applications de son propre esprit, que le fils révèle ses nombreux talents. Combinant art et science, art et technologies appliqués dans des disciplines diverses : de la peinture et la sculpture à la photographie, au graphisme, à la décoration d’intérieur, à l’habillement, à la scénographie, à l’éclairage technique ... produisant des tissus, robes, couleurs à tempura, brevetant des inventions technologiques, créant une entreprise florissante ... donnant vie, en somme, à cet ensemble facetté mais cohérent qui est la marque MARIANO FORTUNY... toujours en activité à Venise avec ses techniques (secrètes) et les mêmes machines qu’il a conçues.



"I FORTUNY
UNA STORIA DI FAMIGLIA"
11 mai–24 novembre 2019
Palazzo Fortuny


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LA REGOLA DEL SOGNO
installation de
BARNABA FORNASETTI et VALERIA MANZI


Fontego dei Tedeschi : (« l'entrepôt des Allemands ») est un édifice de style vénéto-byzantin de Venise, situé le long du Grand Canal de Venise. Les négociants allemands étant nombreux dès le XIIIe siècle, le Sénat leur assigna cette bâtisse sur le Grand Canal, contigu au pont du Rialto, à usage d'habitation et de dépôt de marchandises 
Des fresques de Titien (façade terrestre) et Giorgione (façade côté canal) ont orné les murs extérieurs. Dans la salle dite des banquets se trouvait l'image du Sauveur, attribuée au Titien et un tableau du Tintoret avec Diana sur le chariot poursuivi par les Heures. Dans la même salle se trouvaient des cuirs dorés, gravés de fables et d'histoires peintes par Veronese et des tableaux avec Jupiter, Junon et d'autres dieux et déesses…. Depuis 2016, après une restructuration dirigée par Rem Koolhaas, le complexe est occupé par un centre commercial.
Engagé depuis son ouverture aussi dans l’art et la culture, à travers un calendrier dense d’expositions, de rencontres littéraires, artistiques et concerts – le Fontego présente jusqu’au 24 novembre la REGOLA del SOGNO (la règle du rêve). Une installation de Barnaba Fornasetti et Valeria Manzi qui dialogue avec les espaces et avec la portée symbolique du lieu, jouant avec ses signes historiques.



“Niente parole oscene e ingiurie, niente giochi di carte, niente strepiti, niente risse. Per il resto liberi di commerciare” : « Pas de mots obscènes, pas de jeux de cartes, pas de cris, pas de bagarres. Pour le reste, libres de commercer »...
Telles étaient les règles strictes, gravées dans le marbre à l’entrée du palais, qui s'imposaient aux marchands hébergés par la Sérenissime, message  que les deux créateurs confient aux silhouettes de singes qui  semblent  avertir  les visiteurs du haut de leur irrévérence.
Selon un jeu analogue de renvoi et de basculement, de métissage entre des codes et les époques différentes, les visages féminins, reproduits sur de grands disques (représentant l’iconique muse "fornasetienne" Lina Cavalieri,) rendent hommage à la beauté des œuvres des grands maîtres vénitiens, Giorgione et Titien, qui au XVIe siècle trouvaient place sur la façade de l’édifice.
Ainsi, des silhouettes de bras et de mains, qui tantôt agressent, tantôt caressent, laissent tomber des ducats sur lesquels est inscrit l'invitation à agir avec prudence – "Respice Finem" (prend en compte  la finalité, cf. la maxime latine quidquid agis, prudenter agas et respice finem) consigne à l’origine gravée sur la porte du bureau des Visdomini (les peseurs de marchandises) qui administraient le fondaco au nom de la serenissime Venise.
Le travail des deux créateurs qui puise dans la richesse historique du Fondaco dei Tedeschi, renvoie au visiteur un jeu hypnotique et perturbateur. Fornasetti  dissémine l’espace de références cachées et de messages historiques actualisés avec ironie. En regroupant ces symboles historiques selon une logique ludique, la mémoire vibre selon l’expérience individuelle de chaque visiteur. À la rigueur scientifique de la reconstruction historique se substitue une explosion imaginative : Fornasetti ouvre l’espace à la composante émotionnelle, expressive et narrative de l’histoire, la ramenant à être un lieu d’émotion et d’expérience.

TEXTE CRITIQUE
Demetrio Paparoni*  (extrait traduit de l'italien)

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Atelier Fornasetti : Piero Fornasetti (1913-1988), Barnaba Fornasetti, son fils (1950...)


"... Du point de vue de l’histoire du XXe siècle, qui traverse depuis les années 1940 jusqu’à nos jours, l’Atelier Fornasetti construit sa propre identité sur le paradoxe d’une esthétique antipop, i.e d’une esthétique qui ne vise pas la masse, mais qui est, en même temps, appréciée par un large public. Dès ses débuts, tout en regardant l’art des avant-gardes historiques, en particulier le dadaïsme, le cubisme et le surréalisme, il a adopté une position oblique par rapport à ces mouvements, en se déplaçant dans la recherche de la beauté, étranger à la dynamique des avant-gardes. Nous comprenons que la principale découverte du père du dadaïsme, Duchamp, est d’avoir permis de donner vie à un art détaché du concept d’esthétique, étranger à la recherche de la beauté jusqu’au point d’aspirer à nous laisser indifférents.
Même les superpositions des cubistes, l’utilisation du papier journal ou de morceaux de bois collés sur la peinture sont loin de la recherche de la beauté.  De son côté, le surréalisme n’a pas suivi une idée de beauté, mais il a cherché à mettre en scène l’inquiétude de l’inconscient, cédant souvent à l’horrible.
Que l’on puisse ensuite trouver aujourd’hui une jouissance esthétique dans tout cela est une toute autre histoire, qui ouvre à des spéculations théoriques irrésolues, comme le démontrent les essais d’Arthur Danto** sur le sujet. La question est tout sauf étrangère aux dynamiques de l’esthétique "fornasetienne", qui s’est placée dès le départ en position dialectique par rapport à l’univers visuel dadaïste et surréaliste, non pas pour y adhérer, mais pour orienter sa recherche vers une redéfinition du concept de beauté. On peut y voir une proximité avec Giorgio de Chirico, avec lequel l’Atelier a partagé et continue de partager l’intérêt pour l’architecture classique et la Renaissance, déconstruite et reconstruite dans ses formes antipop...
Demetrio Paparoni, critique et curateur d'art italien
** Arthur Danto : philosophe et critique d'art américain, connu pour ses travaux en esthétique.


LA REGOLA DEL SOGNO
Installation de BARNABA FORNASETTI/VALERIA MANZI
8 mai/24 novembre 2019
au
Fondaco dei Tedeschi
Calle del Fontego dei Tedeschi
Ponte di Rialto - Venezia
10 h/20 h - entrée gratuite


Bibliographie
À côté d'une Venise de l'évidence se cache une Venise inconnue, celle des églises jamais ouvertes. Jean-Paul Kauffmann a voulu forcer ces portes solidement cadenassées, un monde impénétrable où des chefs-d'œuvre dorment dans le silence. Qui en détient les clefs ?