mardi, février 28, 2023

L' Art et la douleur des "compianti" italiens



des Compianti italiens

Compianto del Cristo Morto GUIDO MAZZONI 


Le Christ paupières closes, gisant immobile… autour les Marie et les disciples, dépassés par la mort de Celui qui incarnait l’espérance. C’est cette tragédie de l’humanité que l’artiste et son argile veulent exprimer pour donner forme à la souffrance à travers la création douloureuse d’apparences humaines...
Pour les croyants, ce sera ensuite la Résurrection et le retour à la Lumière, mais c’est ce moment décisif et partagé qui, à travers l’art, devient concret.
Autant de réflexions qu'évoque la Compianto del Cristo Morto que GUIDO MAZZONI réalisa en 1476-77) pour pour l'Eglise Santa Maria degli Angeli à Busseto (Emilie Romagne), époque ou le sujet (les groupes de statues polychromes grandeur nature, en terre cuite ou en bois (car pas de marbre dans cette région), représentant les Lamentations autour du Christ mort) fut, au XVe siècle, un genre artistique qui connut une grande popularité en Italie du Nord.
  
L’église de Busseto fut élevée à partir de 1470 par le financement des frères Gian Lodovico et Pallavicino Pallavicini, (issu d'une des une des plus illustres familles patriciennes de l'Italie septentrionale du Moyen Âge) en application des dispositions testamentaires de son père, le marquis Rolando le Magnifique, disparu en 1457 ; le chantier du couvent franciscain annexe commença en 1472 et les travaux s’achevèrent en 1474. Le complexe a été conçu dans le style gothique, bien qu’à l’époque de la Renaissance, en conformité avec les structures conventuelles franciscaines typiques de l’époque, caractérisées par la sobriété des façades et des intérieurs. En 1475, les frères entrèrent dans le couvent, y organisant déjà en 1480 un chapitre provincial de l’Ordre.


À l’intérieur d’une fausse grotte aménagée à côté de la chapelle de saint François, surmontée du blason en plâtre des commanditaires soutenu par deux anges affligés se trouve  l’œuvre la plus précieuse de toute l’église, les huit statues en terre cuite peinte en grandeur nature. 

« Les personnages réunis autour du Christ mort suivent l’ordre traditionnel : le premier (sur la gauche) est Joseph d’Arimathée, suivi de Saint Jean l’Évangéliste, Marie Salomé, la Madone, Marie de Cléophas, Marie-Madeleine et Nicodème. 
Joseph d’Arimathée et Nicodème (qui ont peut-être les traits des commanditaires de l’œuvre) encadrent le groupe, comme les deux bords d’un cadre. Joseph tient à la main les clous, tandis que Nicodème a un marteau dans la main droite et une paire de tenailles enfilée dans sa ceinture. 
Tous les personnages expriment leur douleur, qui devient donc une "douleur chorale", même si elle reste plutôt mesurée. Les expressions sont uniformes, avec une certaine accentuation chez Marie de Cléophas, et surtout chez Marie-Madeleine...(cf.Giovanni Reale et Elisabetta Sgarbi auteurs de Il Pianto della statua (Les Pleurs de la statue), publié en 2008 (éditions Bompiani)...



On remarquera en particulier que chez la Madone, c’est toute la personne qui parle. Elle est agenouillée, les mains serrées avec les doigts entrelacés ; sa tête est penchée et son regard désolé est fixé sur son fils. Le cri, même s’il est contenu, le corps ainsi représenté et les mains jointes expriment très bien la douleur de la mère, avec un réalisme puissant et délicat.

n remarquera aussi le cri de douleur exprimé par le personnage de Marie de Cléophas et le mouvement des mains qui cherchent à se cramponner à son vêtement comme pour prévenir une chute.


La douleur est aussi parlante chez Marie-Madeleine ; elle passe par le cri, plus accentué que chez les autres personnages, mais aussi par le corps, légèrement penché, et par le mouvement des bras et des mains. Dans la bouche ouverte pour le cri, Mazzoni met en évidence la langue. Toutefois, l’expression de la douleur de la femme n’accède pas à une dimension expressionniste, comme c’est le cas chez Niccolò dell’Arca ; il demeure ici purement réaliste, et attaché à la grammaire et à la syntaxe classiques de la "juste mesure".
Il faut enfin noter l’impact émotionnel suscité par la présence des larmes sur les visages de Marie-Madeleine, de Marie de Cléophas et de la Madone. 
Dans ce premier Compianto de Mazzoni, la douleur s’exprime déjà non seulement par le cri et les pleurs, mais aussi par les positions particulières des corps et les mouvements des bras et des mains. Bien avant la psychologie moderne, les artistes avaient depuis longtemps compris que notre corps possède un langage précis, avec lequel il manifeste des sentiments et les exprime d’une façon qui peut-être très forte. 
Guido Mazzoni réalisa six compianti : à Busseto (1476-77), à Modène (1477-79), à Crémone (il a malheureusement été perdu), à Ferrare (1483-85), à Venise (1485-89, il n’en reste que des fragments, conservés à Padoue), à Naples (1492, pour l’église de Monte Oliveto). 

Le plus "remarquable" des Compianti est sans doute celui de Niccolò dell’Arca, 
que l’on peut voir à Bologne, dans l’Eglise de Santa Maria della Vita.


LA DOULEUR... en musique aussi
PERGOLESE Stabat Mater : I.Stabat Mater dolorosa
Extrait, écoutez 




Busseto commune de la province de Parme dans la région d'Émilie-Romagne en Italie, surtout connu pour être le hameau de naissance du compositeur Giuseppe Verdi et la ville dans laquelle il a fait ses premiers pas musicaux. (cf. blog)