vendredi, janvier 22, 2021

TRESIGALLO, ville métaphysique







"Qu'est-ce qu'une question métaphysique ?
Très éloignée des sciences normatives comme l'éthique, la métaphysique est une science philosophique qui questionne d'abord l'existence des choses ou des événements tels qu'ils nous apparaissent, et qui tente ensuite de décrire et d'expliquer ce qui existe vraiment."...


TRESIGALLO : CORPORATISTE, RATIONALISTE et FASCISTE
Tresigallo est une commune à une vingtaine de kilomètres de Ferrare, dans la région du delta du Po, en Émilie-Romagne. Dans l'entre-deux guerres, Tresigallo qui était un bourg de maisons misérables fut totalement transformé, entre 1933 et 1939, en une véritable ville corporative à l'initiative d'un enfant du pays  : Edmondo ROSSONI 

L'INITIATIVE d' EDMONDO ROSSONI
(photo 21avril1927, E. Rossoni, Piazza del Popolo (Roma), annonce la promulgation de la Carta del Lavoro (doctrine du corporatisme, éthique du syndicalisme et de la politique économique fasciste).
(Casa degli Eroi, la Maison des Héros (Tresigallo)
Edmondo Rossoni était un syndicaliste italien qui passa du syndicalisme révolutionnaire au fascisme après la Première Guerre mondiale. Membre fondateur, en 1918, de l'Union italienne du travail aux côtés d'autres « interventionnistes de gauche », dont le programme influença Mussolini, il organisa en 1922 la Confédération nationale des organisations syndicales (fasciste) puis devint sous-secrétaire de la présidence du Grand Conseil du fascisme (1932-1935) et enfin ministre de l'Agriculture et des Forêts (1935-1939). Il fut aussi l'un des théoriciens du corporatisme, avec d'autres intellectuels fascistes 
Le rêve de ce tresigallese  : éliminer la misère dans ses propres terres, à l’époque où la zone affichait le taux de chômage le plus élevé au niveau national. Pour se faire : réaliser des travaux publics modernes et tracer de nouvelles voix de communication avec la capitale de province, Ferrare. Mais la transformation de Tresigallo n’est pas seulement architecturale, ce fut aussi une révolution sociale, économique et surtout culturelle.
A ce titre Tresigallo,  "Città di fondazione",  selon le concept de "ville nouvelle", fut à cette époque la seule et véritable cité corporative en Italie, ce qui lui vaut aujourd'hui d'être dans le circuit Città d'Arte

CONTEXTE ARCHITECTURAL DE L'EPOQUE
La Casa del Fascio à Côme (1932) de Giuseppe Terragni : le "chef-d’œuvre du rationalisme italien", pour l'architecte, historien  Bruno Zevi
Au début du xxe siècle des architectes exposent l'idée d'une structure créant elle-même l'espace, sans nécessiter une ornementation superfétatoire. Leurs travaux mèneront au modernisme qui explorera ce concept jusque dans les années 70.
 
L’ARCHITECTURE RATIONALISTE ITALIENNE se proposait de construire de telle sorte que chaque détail corresponde à une fonction, suivant les critères modernes répandus surtout en Allemagne des années 1920 : le rationalisme et le fascisme étaient opposés à toute décoration qui alourdissait l’apparence des bâtiments.
Le « Rationalisme italien » des années 1930 fournit en Italie l'architecture officielle de modernisation, de regroupement social dans sa première version. Benito Mussolini, contrairement à Adolf Hitler, ne s’opposant pas aux courants modernes, permit aux architectes rationalistes de construire de nombreux bâtiments importants.
C'est dans ce contexte qu'Edmondo Rossoni commence à penser, discrètement mais avec conviction, à la construction d’une "ville modèle", une ville où il pourrait concrétiser ses idées de syndicalisme intégral, certain que, s’il avait réussi à proposer un modèle concret de ville corporative, il aurait démontré que son idée gagnante pouvait être reproduite à l’échelle nationale : c’est-à-dire construire une ville utopique où il y aurait une collaboration vivante entre travailleur et employeur, avec des objectifs visant à créer de nouvelles ressources et opportunités, un nouveau développement, plus de richesse et de bien-être pour les gens...
L’opération de transformation de la ville et du territoire se fera sans grands architectes mais avec l'implication des entrepreneurs locaux et l'embauche des habitants, qui collaborent et participent activement à la transformation de leur territoire, même si elle n’a pas la qualification professionnelle adéquate, comme Rossoni écrira dans une lettre à Mussolini en 1940 expliquant son travail.
Dans cet esprit, au début de 1935, on commence à voir les premiers ouvrages, les premières routes, les premiers établissements industriels. On expérimente aussi d’extraordinaires techniques de construction, pour  : par exemple, l'utilisation des matériaux pauvres disponible, comme le ciment armé et le sel pour simuler le marbre et ses nervures  sur portique de l’église de la Piazza Italia.
Mais Tresigallo n’est pas seulement une città de fondazione : c’est une ville d’Art et surtout, une ville métaphysique, appellation qui a été choisie précisément pour en valoriser l’unicité.


 LE VOYAGE DANS LE TEMPS, À LA DECOUVERTE
 DE L'ARCHITECTURE RATIONALISTE,  PEUT COMMENCER
Aujourd'hui de cette utopie restent des bâtiments colorés, tourelles, portiques de marbre, cylindres, cônes, parallélépipèdes, arcs qui se perdent à l’horizon. Sur les places, sous les portiques, le long des rues : formes concaves et convexes, géométries et couleurs s’entremêlent dans un ensemble harmonieux et ordonné qui renvoie aux espaces métaphysiques intemporels de GIORGIO DI CHIRICO. "Le silence qui entoure le paysage, interrompu par le flux cadencé de l’eau de la fontaine, nous projette dans une dimension suspendue entre géométrie et rêve..."  à savoir que SOGNI était à l'origine les bains publics, soit BAGNI ; à la restauration les lettres étant abimées, on choisit de rêver un peu...











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EDMONDO ROSSONI, FIN DE CARRIERE, FIN DE VIE

Le 10 juillet 1943, les Anglo-Américains débarquent en Sicile et le 19, le premier bombardement de Rome a lieu. Il n'y a plus de doute que la guerre est perdue. Une audience est donnée par le roi Victor-Emmanuel III à Dino Grandi  :  le roi suggère à Grandi que, conformément au Statut albertin, un vote au parlement ou au Grand Conseil lui donnerait les bases constitutionnelles pour déposer Mussolini. 
Le 24 juillet une session du Grand Conseil du fascisme se tient donc en présence du Duce et se conclut, aux premières heures du jour suivant (25 juillet), par l’approbation de l'ordre du jour présenté par Grandi à savoir : l'abandon des charges du gouvernement par Mussolini au profit du roi...
Malgré ce, la République dite de Salò va ensuite voir le jour, un état fantoche fasciste établi par Benito Mussolini en Italie du Centre et du Nord, dans les zones contrôlées par la Wehrmacht, du 23 septembre 1943 jusqu'en avril 1945..
E. Rossoni est condamné à mort par contumace, avec les 19 autres personnalités fascistes ayant voté la motion Grandi ... En mai 1945, à la fin du conflit et de la chute définitive des restes du régime fasciste, Rossoni est condamné cette fois à la prison à perpétuité par un tribunal du Royaume d'Italie. Déjà réfugié au Vatican, il réapparaît au Canada où il reste un an. Amnistié en 1948, E. Rossoni rentre en Italie et se retire de la vie publique. Il meurt à Rome en 1965 et repose dans le cimetière de Tresigallo

Une fois le délai légal, protégeant le droit d’auteur de soixante-dix ans, accompli, l’héritage architectural du fascisme italien est donc parvenu au point où la mémoire vivante se change en patrimoine historique relevant du domaine public. Pendant longtemps, les Italiens de la génération d’après-guerre ont vu, à leur grand embarras, l’architecture fasciste des bureaux de poste, des logements sociaux, des quartiers résidentiels ainsi que de villes entières demeurer intacte, dans la péninsule italienne et en Afrique, plantée là comme un décor peu opportun pour le présent républicain et post-colonial. Pendant longtemps les bâtiments relevant de cette esthétique se dressaient donc comme autant de temples abandonnés, consacrés à des dieux oubliés, mais qui, même vides et hautains, semblaient n’avoir rien perdu de leur pouvoir. ll n’est pas  facile d’élaborer des réflexions sur l’architecture qui soient à la fois objectives, globales et en accord avec la méthodologie de l’histoire de l’architecture, principalement parce que les auteurs ont eux-mêmes travaillé comme architectes, et donc hérité de ces ruines hantées.

GUIDE PRATIQUE


CARTE officielle
et description des sites (Lien)


Se loger à FERRARE, à 20 km
Stendhal, Chateaubriand décrivirent Ferrare comme une cité “déshabitée”. Quand on sait que c’est aussi la ville de De Chirico et d’Antonioni, on est surpris par l’agitation de cette petite ville, animée par le choix du tout-vélo, des festivals et des marchés qui s’enchaînent. L’atmosphère est sympathique et l’on reste sous le charme des “perles de Ferrare”.
FERRARA : Hotel Principessa Leonora (lien)
FERRARA : Locanda Borgonuovo (lien)

Se restaurer dans les environs
CODIGORO (lien)
La Capanna di Eraclio 1* Michelin (75€)
Une grande tradition familiale,  "Laura Giorgi racconta il nostro Delta del Po"
FERRARA
Maniffatura Alimentare (lien) : bistrot et bottega gourmet (35€)
TRESIGALLO
La Brace (lien) :grillades et pizzeria (30€)



GIORGIO DI CHIRICO
LA PEINTURE METAPHYSIQUE



                                 
du Musée de l'Orangerie sur l'exposition 
"Giorgio de Chirico. La peinture métaphysique en 5 œuvres"
et
Evocation de Giorgio di Chirico en ces temps troublés de Covid
"Le silence des places de Chirico"

et aussi
DANS LES ENVIRONS

ALDO ROSSI à l'ossuaire de San Cataldo : THÉORIE et POESIE (LIEN)


repaire géographique