samedi, avril 26, 2014

CARNAVALS et RITES en ITALIE



MYTHES et ORIGINES
Le rapt de Perséphone, dans la mythologie grecque, ou l'Enlèvement de Proserpine (Alessandro Allori 1570) dans la mythologie romaine, est le récit de l'enlèvement de Coré par le dieu Hadès, de sa recherche désespérée par sa mère Déméter, déesse des moissons, et d'un compromis finalement adopté, selon laquelle Coré (Perséphone ou Proserpine), désormais reine des Morts, ne resterait dans le monde souterrain qu'une partie de l'année : soit  six mois aux Enfers (qui symbolise l'automne et l' hiver) puis six mois avec sa mère (c'est dire le printemps et l'été) créant ainsi le cycle des saisons.
Les Saturnales (en latin Saturnalia) sont durant l'antiquité romaine des fêtes se déroulant durant la période proche du solstice d'hiver, qui célèbrent le dieu Saturne et sont accompagnées de grandes réjouissances populaires.
Postérieurement, elles inspirèrent des fêtes religieuses ou traditionnelles : le jour de Noël chrétien qui reprend le symbole du solstice d'hiver, soit le thème du Sol invictus, (le soleil invaincu)., la galette des rois, laquelle sacrait le « roi » de la fête et les processions et réjouissances de CARNAVAL.
En italien le CARNEVALE a pour origine carnelevare, un mot latin formé de carne « viande » et levare « enlever » signifiant donc littéralement « entrée en carême ».
Ainsi, à l'origine le carnaval devint une tradition archaïque liée aux cycles saisonniers et agricoles.

LA FÊTE
 "Semel en an licet insanire": une fois par an, il est permis d'être fou.
Cet ancien adage latin manifeste bien l'esprit du Carnaval : un renversement de l'ordre, autorisé durant une brève période. (Le Combat de Carnaval et Carême, Peter Brueghel, 1559, Kunsthistorisches Museum, Vienne)
Durant les fêtes très populaires des saturnales, l'ordre hiérarchique des hommes et la logique des choses se trouvaient inversés de façon parodique et provisoire. Le sujet du renversement est resté dans l'esprit du Carnaval, une période dans laquelle tout est permis en apparence et qui permettait, en réalité, de circonscrire dans un temps préétabli et limité la liberté de s'abandonner aux excès et de donner aux humbles l'illusion d'être semblables aux puissants, une manière d'alléger les tensions et maintenir le consentement.
Et l’historien des religions Mircea Eliade d'écrire aussi dans l’essai Le Sacré et le Profane  « L'abolition du temps profane écoulé s’effectuait au moyen des rites qui signifiaient une sorte de « fin du monde ». L'extinction des feux, le retour des âmes des morts, la confusion sociale du type des saturnales, la licence érotique, les orgies, etc. symbolisaient la régression du cosmos dans le chaos »

Le MASQUE ET LE DEGUISEMENT
Caractéristiques des représentations symboliques, les masques sont restées dans l'histoire du Carnaval. La pratique du déguisement remonte au Paléolithique, quand, à l'occasion des rites magiques, les sorciers se paraient de plumes et de grelots et se couvraient le visage avec des masques peints à l'aspect terrifiant pour chasser les mauvais esprits. À l'époque romaine, l'usage des masques était lié aux Bacchanales, un culte orgiaque en l'honneur de Bacchus, qui semait le désordre  dans les rues de Rome.



CARNEVALI en ITALIE

Si en France le Carnaval est essentiellement lié à la fête chrétienne du Mardi Gras qui consiste surtout pour les enfants à se travestir et à participer avec confettis et serpentins à une parade de défilé de chars, l'Italie a conservé des traditions carnavalesques" très diverses : qu'il s'agisse d'inscrire la fête dans le cycle des saisons ou dans le renversement de l’ordre du monde, ou de fêtes aux allures d’exutoire. Les régions italiennes aussi, à travers leur histoire, leur géographie et leurs légendes conservées apportent à cette fête des particularismes carnavalesques inattendus.En voici une sélection.

RITES APOTOCRATIQUES

CARNAVAL DE MAMOIADA (Sardaigne) 
Le carnaval de Mamoiada, dans le centre de la Sardaigne, en Barbagia, province de Nuoro, représente un des évènements les plus étonnants du folklore sarde : à savoir le mystérieux et mélancolique cortège de douze MAMUTHONES, qui le jour de la Saint-Antoine traversent les rues du village de Mamoiada. sous l'autorité de Huit Issocadores, à pas lents, cadencés et lourds, dans le bruits des 30 kg de cloches dont chacun s'est paré. Le maquillage, le costume et le masque des Mamuthones participent à l'étrange et au mystère : sur le traditionnel costume local de berger en velours, il porte, à l'envers, une veste en peau de mouton noir couverte d'un amas de cloches. Le visage grimé de noir  est couvert d'un masque en bois noir entouré d'un fichu violet. Les ISSOCADORES qui mènent le cortège ont un costume plus clair blanc et rouge, plus élégant et sont munis d'une corde qui fait office de lasso pour "capturer" les spectateurs qui devront s'acquitter d'une obole pour payer au café les pauses qui ponctuent le défilé. Nombreuses sont les interprétation sur ces rituels mais aucune certitude sur cette solennelle procession quasi-religieuse. Commencé le 16 janvier, il se termine le lendemain, jour de Mardi Gras avec le brulot d'un mannequin. www.mamuthonesmamoiada.it/
 

MASQUES,  MASCARADES et RITES TUTELAIRES en SARDAIGNE
MAMUTZONES de SAMUGHEO
SU MAIMULU à Ulassai
CORRIOLOS à Neoneli
BOES e MERDULES à Ottana
SU ARRASEARE ONNESSU de Fonni  

CARNEVALE de Aidomaggiore




MASCHERATA DEL DIAVOLO à TUFARA (Molise)
Tufara est une commune de la province de Campobasso dans la plus petite région d'Italie (35m2), la Molise, située entre les Pouilles et la Campanie.
C'est le dernier jour de Carnaval qu'a lieu la Mascarade du Diable, un rituel de purification du Mal
célébré à l'origine par les communautés paysannes (de façon récurrente, mort et dérision de la mort se mêlent intimement dans l'univers carnavalesque). En début d'après-midi, un groupe de musiciens travestis envahissent les rues du village pour accompagner le père et la mère du Carnaval, interprétés par deux hommes. En même temps, dans une autre partie du bourg, c'est un autre petit cortège de deux hommes vêtus de blanc et de rouge (représentant la mort) qui s'élance brandissant une faux et invectivant les passants au cri de "attention, la mort !". Derrière, se trouve le Diable couvert de peaux de chèvre noire, sur le visage un masque impressionnant avec cornes et une longue langue rouge ; muni d'un trident menaçant il va de maison en maison cherchant Carnaval. Fermant le cortège, trois moines tiennent enchaîner le Diable.
En fin de soirée, les cortèges tes retrouvent sous les murailles de la forteresse longobarde de Tufara, où un tribunal du peuple condamne le Carnaval, représenté par un pantin, et le jette par dessus les murailles du château. Le Diable le ramasse et le jette à son tour depuis le plus haut rocher du village sous les cris des villageois et des spectateurs. Site


EVOCATIONS HISTORIQUES LOCALES
Le Carnaval donne à voir des représentations diverses, chacune mettant en scène leurs différences et leurs points communs hérités de rites millénaires (renversement de l’ordre du monde, travestissements, fête aux allures d’exutoire), mais aussi de leurs traditions et Histoire locales.
STORICO CARNEVALE  DI IVREA
  BATTAGLIA DELLE ARANCE (Piémont)
Le Carnaval d'Ivrea est une évocation habile de divers épisodes de son histoire : l'affranchissement au Moyen Âge de la Cité contre la tyrannie du Marquis de Monferrato qui affamait son peuple. A la tête de la rébellion la fille du meunier (la Mugnaia) qui tua le marquis. Evoquée aussi la révolte populaire des tucchini, jusqu'aux symboles de la révolte jacobine (bonnet phrygiens,..) et aux uniformes de l'armée d'occupation napoléonienne. Il se déroule sur les trois jours gras, dimanche, lundi et mardi gras. 
Le premier jour le Général, escorté de son état-major et du notaire, précédé des fifres et des tambours, se rend sur la place de chacun des cinq rione (quartiers) de la ville pour planter un scarlo, un fût d'arbre entouré de bruyères sèches, sorte de bannière aux couleurs du quartier. Viendra ensuite, le défilé du cortège avec notamment le char de la Mugnaia, héroine de la révolte. Le dernier jour commence par une grande FAGIOLATA (haricots mijotés avec de la couenne de porc) distribuée à volonté aux visiteurs le matin avant la BATTAGLIA DELLE ARANCE (la bataille des oranges) du Mardi Gras symbolisant la victoire du peuple (représenté par les escadres qui se "battent" à pied) contre les lottatori, (les nantis, à bord des chars). C'est le clou du Carnaval suivi le soir de l'Abbruciamento dello Scarlo, où l'on brûle le scalo. www.storicocarnevaleivrea.it/
 


 SARTIGLIA di ORISTANO (Sardaigne)
S'omine ballante s'idet a caddu, "l'homme valeureux se voit à cheval" dit une ancienne maxime sarde. Au début de l'histoire de l'île, ce sont en effet les plus intrépides et audacieux qui capturaient ces animaux sauvages et qui les domestiquaient pour la terre ou pour la guerre. Le cheval fut aussi le passage initiatique de l'enfance à l'âge adulte. Sur le socle de cette mémoire, la Sardaigne maintient encore, à cheval, le goût du défi et l'orgueil de la course. Les manifestations sont diverses mais conservent toujours une authenticité culturelle que l'île, noblement, a su conserver même dans les fêtes devenues  touristiques.
La Sartiglia est une joute équestre, une course à l'anneau (à l'étoile en argent) aux origines très anciennes et à forte signification mystique pour les peuples du bassin Méditerranéen, manifestation liée à l'ancien rite agraire qui demande aux Dieux la fertilité de la terre et l'abondance des récoltes.
Les quatre moments forts de la fête sont le rite de l'HABILLAGE de SU COMPONIDORI, le maître de la cérémonie, où l'on "transforme" le vulgum pecus en cavalier divin avec en dernier lieu la pose d'un masque androgyne mi-homme, mi-femme, mi-Dieu. Vient ensuite la COURSE à L'ETOILE d'argent. EN 500 ans seulement trois cavalières ont été choisies pour y participer et ce avec succès. Puis les PARIGLIE (courses de chevaux acrobatiques) et enfin le déshabillage du Su Componidori clôture la manifestation et les réjouissances populaires commencent. www.sartiglia.info/


CARNIVAL DI SAPPADDA (Bellunese, Dolomites)
Les Dolomites est un territoire complexe et pas seulement d'un point de vue géographique : à l'intérieur même de ce territoire montagneux les différences d'une vallée à une autre peuvent encore sauter aux yeux des touristes les plus avertis. Le Carnaval ne fait pas exception. Presque chaque vallée a sa propre tradition pour célébrer la fête du renversement des rôles …
SAPPADA est situé au nord de la province de Belluno dans le Tyrol du Sud, proche de l'Autriche (cf. le patois allemand local). L'installation de familles venus du nord date du XIe siècle et représente un territoire de 15 bourgades. Les fêtes du carnaval se déroulent sur les trois dimanches, dans trois communes différentes, précédant le Carême, chaque dimanche étant consacré à une catégorie de citoyens (masqués et déguisés) : les pauvres, les paysans, les bourgeois. Chaque manifestation est accompagnée par le ROLLATE, personnage imposant et hargneux vêtu d'une épaisse fourrure d'ours, de cloches, et d'un pantalon rayé de détenu. Il déambule dans les rues du village sous son masque en bois à larges moustaches en menaçant de son balai les enfants. Le lundi, dernière parade et le Mardi Gras tous les déguisements se donnent rendez-vous sur les skis. 
SITE ; Agriturismo Voltan Haus ; Ristorante Laite


CARNEVALE DEI MATOCI   (Trentino, Dolomites)
 VALFLORIANA, au nord de Trento est la première commune du Val di Fiemme. Sa population gardienne d'un écosystème de toute beauté a conservé aussi ses anciennes traditions, notamment des traditions carnavalesques archa¨ques à travers la fabrication artisanales de masques (facère), œuvres d'artisans locaux qui a eux seuls mériteraient le déplacement.
L'espace d'une journée, le cortège masqué va traverser les 10 frazioni qui composent la commune. En tête les MATÒCI (concept de la folie, de la liberté), vétus d'un costume très coloré et abondamment garni de dentelles ouvragées, de fleurs, de cocardes et de rubans, évoluent de façon grotesque et caricaturale sous leur masque qui cache leur idendité et garantit la confidentialité pour répondre avec critique et ironie aux questions sur la vie de la commune. Suivent les gracieux et élégants ARLECCHINI, tout aussi colorés et fleuris  qui amènent au son de l'accordéon et du fazoletto  légèreté et divertissement. Reprenant le rite du cortège nuptial, viennent ensuite les EPOUX où la mariée est un homme et l'époux une femme (inversion des rôles récurrente) puis fermant le cortège les PAIACI masqués, représentation diversifiée de la population rurale. Chaque étape se termine par une tournée de vin chaud... jusqu'au dernier village où le cortège se disperse et commence alors une grande fête paysanne. SITE ; Maso Franceshella ; Hotel Garni Laurino
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TRADITIONS DES CHARS ALLEGORIQUES
Les plus célèbres défilés de chars allégoriques italiens, où les maîtres du carton pâte inspirés du monde contemporain s'expriment avec brio, fantaisie et férocité, sont les Carnavals de Viareggio, Putignano et Acireale.

CARNEVALE DI VIAREGGIO (Toscane)

 CARNEVALE DI PUTIGNANO et MANFREDONIA (Pouilles)
 www.carnevalediputignano.it/ - www.carnevalemanfredonia.com

  CARNEVALE DI ACIREALE (Sicile)

 
CARNAVAL DE VENISE (Vénétie)
Le Carnaval de Venise est sûrement le plus connu, le plus courru, le plus touristique, le plus médiatisé de la planète. Historiquement sous le masque : abolition des contraintes et des classes sociales, liberté et transgression sans risque d'être reconnu. Les principaux moments : La FÊTE DES MARIE, LE VOL DE L'ANGE, LE DEFILE des CHARS à Maghera, LE VOL DE L'AQUILA et de L'ASINO à Mestre, Le SVOLO del LEON, hommage au Lion ailé, symbole de la ville.
Le carnaval se termine avec l'élection du plus beau masque par un jury international... et Philppe Sollers d'écrire « Rien de plus faux, parodique et grimaçant que le carnaval moderne. C’est un truc d’écran pour couturiers et sponsors divers. Du bruit, de la laideur, de l’outrance, des masques empilés sur des masques, des contorsions pour la caméra » www.carnevale.venezia.it/

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Repère cartographique Sardaigne (clic sur image = agrandir)





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EXPOSITION "LE MONDE À L'ENVERS"
MUCEM, MARSEILLE
jusqu'au 25 août 2014, fermé le mardi

FOLLES PARADES Filmographie 
Quand la transgression des rites devient rite de transgression, les masques révèlent l'autre visage de la société, sa part d'ombre rieuse et ricanante, celle dont se repaît le cinéma. Carnaval, fête, bal, parade, transe, égarements... autant de jeux de société qui dressent les décors d'une mise en scène déchaînée de l'inconscient collectif. Entrez dans la danse avec une trentaine de films.   
Des films de fiction: Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning, Orfeu Negro de Marcel Camus, Les clowns de Fellini ou Pourvu qu'on ait l'ivresse de Jean-Daniel Pollet...  Mais aussi des films documentaires : Les Maîtres fous de Jean Rouch, Pasqua in Sicilia de Vittorio De Seta, La Taranta de Gian Franco Mingozzi, La bête lumineuse de Pierre Perrault ou Le Grand’Tour de Jérôme Le Maire...
Une programmation cinéma proposée au musée jusqu'au 27 avril en collaboration avec Documentaire sur grand écran, en écho à l’exposition « Le monde à l’envers – Carnavals et mascarades d’Europe et Méditerranée ».
http://www.mucem.org/fr/node/2254